.~ De fil en aiguille... |PV Akiya|

Nailah arriva devant la porte de la salle de couture, en début de soirée. Quelle journée! Elle avait d'abord trainé en ville où elle avait rencontré Sakura, puis avait fait une entrée que l'on pouvait considérer comme normale -pour elle tout du moins- dans le lycée, en faisant la connaissance du surveillant Kotaro. Enfin, charmant, le surveillant... Un sourire vint fleurir un instant sur les lèvres de Nailah. Elle était passée par la chambre, avait posé ses affaires sur le lit qui lui convenait le mieux -au diable si quelqu'un d'autre le souhaitait- et était partie explorer le lycée.

Elle n'avait pas rencontré grand monde lors de sa promenade solitaire. Non, elle avait juste flâné, jetté quelques oeillades intéressées, puis s'était finalement rendue à la salle de couture. Nailah est mannequin, me direz-vous. Certes, mais tout mannequin a besoin d'une garde de robe exemplaire. Or, la sienne était restée pour une grande partie dans sa petite maison. Elle avait de l'argent, bine sûr. De quoi s'acheter une montagne de vêtements, comme toujours. Et ce n'était pas ce qui intéressait le jolie brune. Non, loin de là. Elle ne souhaitait qu'une chose, c'était avoir l'unique. Il y avait des stylistes, ici, non? Et bien, qu'ils servent à quelque chose! Non, non ne fuyez pas devant l'égocentrisme et le narcissisme de Nailah. Vous louperiez quelques détails amusant.

Elle prit une grande inspiration et poussa la porte pour trouver la salle vide. Zut. Ce n'était peut être pas son jour: pas de beau spécimen mâle à côté d'elle dans le salon de thé, mais juste un petite fille toute mignonne. Et maintenant, une salle de couture vide. Pourquoi diable était-elle venue ici, déjà? Elle eut une vague moue insatisfaite et commença à parcourir la salle en long et large pour se calmer.

Ses yeux voguaient un peu partout. Elle commença à contempler un patron, finalement, qui trainait par là. Trop fantaisiste. Elle continua de arpenter la pièce, l'air de rien, ses talons claquant sur le sol. Un autre patron... Trop sage. Pff... Vraiment rien ne lui conviendrait? Comme égarée, elle allait et venait dans la salle, ouvrant divers tiroirs, contemplant diverses créations, palpant les tissus. Puis, vint un bruit. Sa robe noire battant contre ses cuisses, élégante corolle autour d'elle, elle fit volte face, au bruit de la porte qui s'ouvrait à nouveau.

Enfin?

Die for me, for me, you can't save it...

Akiya n’avait pas envie de socialiser. D’ordinaire, il était fréquent de le voir se mêler aux autres pour leur faire entendre son opinion avec dynamisme ou simplement pour se désennuyer. Mais ce soir-là, rien ne le tentait. Tous ces jeunes gens qui discutaient ici et là, conversations bruyantes sur ci et ça… c’était d’une banalité épouvantable et peu attirante, aujourd’hui. M’enfin! Ce n’était pas que les conversations des jeunes de son âge ne l’intéressaient pas, en fait… il n’avait simplement pas le goût de s’y mêler. Pas ce soir. Sa place n’était pas là à ce moment-là, il le savait, simplement. Il avait envie de rester seul, de penser à ce qu’il avait vu tout au long de sa vie et à ce qu’il ne verrait pas. Oh, rien de bien intéressant...

Écouteurs dans ses oreilles, cette chanson de son groupe favori tournait sur son ipod pour la énième fois. Le jeune homme la fredonnait silencieusement, sa voix résonnant faiblement dans le long couloir sombre et vide de la pension; c'était la première fois qu'il voyait cet endroit à cette heure-ci. Habituellement, ces couloirs étaient toujours bondés d'étudiants parlant haut et fort, se bousculant sans aucune classe. Mais à cet instant, rien de tout ces détails n'étaient présents: le couloir dans lequel il se trouvait était tout simplement vide, le néant. C'était un peu sinistre, d'ailleurs. Allez savoir pourquoi, Akiya y voyait une certaine touche nostalgique. Prenant note de ses propres pensées, le jeune homme se mit à sourire dans le vide. Ah, souvenirs... souvenirs.

Le jeune styliste marchait en silence, les mains dans les poches de son pantalon noir qui laissait entrevoir une mince partie de ses cuisses, cela avec classe et sans que ça ne soit provoquant. Les seuls sons qu'on pouvait entendre étaient ses pas qui résonnaient lorsqu'ils claquaient sur le sol, sa voix basse qui suivait l'air de la chanson qu'il écoutait et le subtil bruit des quelques chaînes accrochées à ses vêtements lorsque celles-ci s'entrechoquaient. À part cela, c'était un silence parfait, presque effrayant.
Ce silence qui commençait à être désagréable vint toutefois se briser lorsque le garçon se rapprocha d'une pièce dont la porte était restée entrouverte. Quelqu'un s'y trouvait sans doute, de toute évidence. Ce n'était pas par intérêt qu'il s'était rapproché, mais plutôt par curiosité, celle de voir qui se trouvait dans cette pièce, émettant un faible son de pas qui n'étaient pas les siens. C'est au moment où le garçon poussa la porte de la pièce qu'il perdit l’air impassible qui était affiché à son visage pour adopter un air plus détendu, un peu moins sérieux, peut-être. Bref, un air quelque peu espiègle, celui qu'il avait souvent sur le coin des lèvres.

C'était de toute évidence la salle de couture. Étant inscrit à la formation de stylisme, il y passerait sans doute prochainement plusieurs heures, en tout cas, quand les cours allaient commencer. La pièce était en désordre, un vrai fouillis. Pourtant, cela l'attirait. Il n'avait pas eu spécialement hâte de commencer ses cours, mais la vue de cette salle l'attirait, étrangement. Elle avait un certain charme, cette pièce donc l'esquisse de plusieurs travaux attendaient d'être complétés...
Ce fouillis, c'est ce qu'il aperçut en premier. Puis, cette jeune femme qui venait de tourner son regard sombre vers lui. Il fut étonnant de croire qu'elle ne fut pas la première chose que son seul oeil fonctionnel voulu bien apercevoir. Elle ne passait pas inaperçue, cette étudiante d'une grande élégance et d'une beauté qui l'aurait sans doute envoûté s'il avait été intéressé et attiré par les sentiments complexes et profonds, ce qui n'était pas le cas. Elle dégageait une certaine grâce, cette jeune femme qui devait avoir à peu près son âge. Une élégance qui ne passait pas inaperçue, autant que son excentricité à lui était voyante.

Que faisait-elle ici? Le jeune homme en jugeait qu'elle était à la recherche de quelque chose. Un vêtement? Sans aucun doute. Akiya songea qu'elle était peut-être styliste, mais allez savoir pourquoi, il avait plutôt l'impression qu'il s'agissait d'un mannequin. Une intuition que beaucoup de gens devaient avoir en présence de cette jeune femme aux traits fins et bien dessinés. Ai-je déjà dit qu'Akiya aurait pu être charmé par celle-ci s'il avait eu un quelconque intérêt envers les sentiments portant sur l'affection?...

« Tu cherches quelque chose? », fit-il en retirant l'écouteur droit de son Ipod de son oreille.

Avait-il l'intention de l'aider à trouver cet objet non identifié qu'elle recherchait? Bah! Pas vraiment, en fait. C'était plutôt par curiosité et pour se désennuyer qu'il avait prit la parole, accoté contre le cadre de la porte, un cet air espiègle subtilement dessiné dans ses traits. Lui, il était là par curiosité.

Et elle, qu’en était-il?

Par tous les dieux. Enfin. Enfin! Enfin un coup de chance dans sa journée... ou pas. Son premier réflexe fut de détailler de haut en bas l'individu qui lui faisait face. Excentrique fut le premier mot qui lui vint à l'esprit. Intéressant, fut le second. Il avait un style, une silhouette fine, agréable, des traits fins. Cheveux méchés de rouges, pour noter son côté original ainsi que des lentilles rouges. À cela s'ajoutait un pantalon porté avec style, et non de façon vulgaire. Et quel pantalon! Styliste? Peut-être. Enfin, pour clôturer la liste très rapide des étrangetés made-in-Nailah, les tatouages. Hm, toujours un bon plant, les tatouages, elle n'en doutait pas.

Oh, et, très important, le sourire espiègle. Nailah aimait les sourires espiègles. Pour elle, c'était simplement synonyme de jeu. Et nous savons tous à quel point elle adorait jouer.

Il fallait admettre que le lieu semblait propice aux rencontres. La pièce dont elle n'avait pas encore allumer la lumière commençait tout juste à se plonger dans cette quasi obscurité caractéristique du moment où le soleil a disparut derrière l'horizon sans pour autant laisser place à la nuit. Entre chien et loup. Une atmosphère à la fois étrange, apaisante et envoûtante. Le genre d'instant éphémère, dont il est si difficile de capter la magie. La jeune femme aussi, était comme ça. Insaisissable. Entre jour et nuit, à la fois sombre et lumineuse. Une sensation d'être prit au siège. Oui, quand elle était au summum de son art, c'était à cela qu'elle pouvait faire penser. Entre chien et loup.

Mais ce n'était pas un jour propice à son art, loin de là. Son nouvel environnement la laissait assez lasse, même si elle n'en montrait rien. Elle aurait toute l'année pour en découvrir les moindre occupants. Occupants qui avaient tous intérêt à se montrer d'un certain attrait.

Nailah préférait de loin rester naturelle, ou presque. Ce soir tout du moins. Allez savoir si Akiya devait s'en sentir flatté ou bien tout le contraire. Ainsi était la jeune femme. Un véritable caractère de félin. C'est d'ailleurs de sa démarche ondoyante qu'elle s'avança dans la pièce, se rapprochant ainsi de son nouvel interlocuteur, pareille à une ombre, dans sa robe noire. Quand elle jugea la distance qui les séparait acceptable, c'est à dire suffisamment prêt pour avoir une conversation, tout en gardant un bel espace vital autour d'elle, elle s'assit sur le bureau le plus proche et croisa les jambes. Rien de séducteur dans son geste, non, c'était juste une seconde nature chez elle, il ne faut pas lui en vouloir. Sensuelle, elle l'était. Mais rien en elle s'apparentait à une quelconque vulgarité ou provocation.

Sauf son regard, bien entendu, ô combien provocantes étaient ces perles d'onyx qui scrutaient sans cesse l'obscurité. Une lueur narquoise y brillait. Narquoise, pour répondre à l'espièglerie d'Akiya. Un léger sourire en coin se dessina sur ses lèvres. Le jeu. Elle n'attendait que ça, le jeu. Mais elle ignorait encore si elle avait trouver là un partenaire amusant ou non. Et cela rendait toujours la partie plus captivante, ne croyez vous pas?

Elle haussa un sourcil, ses traits altiers n'étant pas d'albâtre comme il le semblait au premier abord, puis, répondit enfin à la question du jeune homme, alors qu'une minute au moins devait s'être écoulée. Uh? Lente d'esprit? Non, pas du tout. Nailah était quelqu'un de brillant. C'était juste qu'elle aimait se faire attendre. Oui, cela n'avait rien d'étonnant...

-Ce que je cherches? Ma foi... Un styliste.

Une réplique lancée sur le ton de l'évidence, le tout dans une note suave. La voix de Nailah était grave, pour une femme. Elle n'en restait pas moins élégante et totalement accordée au personnage. Elle pouvait la moduler à sa guise incarnant aussi bien le démon que l'innocence, la moquerie ou le sérieux, le désir et la passion. Or, là, elle était outrageusement simple. Et bien, ma chère Nailah? Que t'arrive-t-il?

Elle se pencha en avant, ses deux mains accrochées sur le bord du bureau, pour poser, enfin, la question qui lui brûlait les lèvres.

-En es-tu un?

Elle eut une de ces moues amusées et mutines, une posture digne d'une photo, il fallait le dire. Uh, la mannequinat, elle avait cela dans le sang, il fallait croire. Bien qu'elle soit d'humeur joueuse, elle n'avait pas perdu son objectif pour autant: des vêtements. Il lui fallait de magnifiques vêtements sur mesure. Elle doutait pas du fait que son interlocuteur puisse être un bon parti, ne serait-ce que pour une nuit, mais elle avait bien du temps devant elle, et elle ne tenait pas à s'afficher dès son arrivée dans l'établissement. Allons, allons, ne soyez pas surpris... Même pour Nailah, il n'y avait pas que le plaisir charnel qui comptait.

Se présenter? Là? Cela ne lui effleura même pas l'esprit. Il fallait savoir s'entourer de mystères pour être insaisissable, n'est ce pas?

Il était clair que ces yeux brillants rappelant la fusion d'un précieux trésor d'onyx ne pouvaient pas le laisser totalement indifférent. Ce regard à la fois ténébreux et séducteur qui le scrutait en détail était presque intimidant... presque. Il aurait été ridicule de nier qu'elle dégageait une certaine aura attirante, carrément envoûtante lorsqu'on s'y perdait dangereusement de façon trop lointaine. Il fallait lui donner : la nature l'avait gâtée dans son physique. Ce n'était que depuis quelques secondes que son regard avait croisé le sien pour la première fois, mais déjà, Akiya pouvait aisément dire avec certitude qu'elle avait une apparence sûrement très avantageuse dans beaucoup de situations. Toutefois, ce qui retint le plus son attention chez elle ne fut pas réellement ce charme enjôleur qu’elle dégageait. En fait, ce qui capta un soupçon de son réel intérêt fut plus certainement cet air narquois qu’elle avait là, gravé dans ces yeux provocants qu’elle avait sur sa figure, cet air qui semblait vouloir répondre à son propre sourire que ses lèvres affichaient à moitié. Qu’est-ce que cette expression sur le visage de la jeune femme voulait bien signifier? Il l’ignorait encore, à vrai dire. Mais il se ferait un plaisir de le découvrir à travers de simples phrases qu’ils pourraient s’échanger dans de prochains instants.

Le jeune homme la laissa le détailler sans se plaindre, soutenant son regard lorsque celui-ci venait croiser le sien. Il devait sans doute être amusant de les voir ainsi se scruter mutuellement, sans pour autant ouvrir la bouche pour émettre quelques paroles de plus. Cela pouvait ressembler à un terrain où le danger pouvait surgir à tout moment, là où ils se préparaient tous les deux à attaquer en observant et en analysant chacun de leur côté leur adversaire. Un jeu? C’est ce que le garçon semblait percevoir dans cette atmosphère silencieuse et énigmatique. Intéressant… cela pourrait sans doute l’aider à se désennuyer sans qu’il n’ait à socialiser avec un tas d’étudiants.
Akiya la vit se rapprocher de lui de cette démarche féline qui ne laissait pas découvrir qu’elles étaient ses intentions. Il ne sut pas exactement à quelle distance elle crut bon de devoir s’arrêter pour s’installer d’un geste léger sur un bureau; sa vue ne le lui permettait pas. Il estima tout de même qu’elle devait se trouver à moins de deux mètres de lui même, distance raisonnable qu’il ne se sentait pas obligé de respecter. Telle une statue au visage malicieux, le jeune homme l’observa croiser ses fines et longues jambes tandis qu’elle prit enfin la parole après un long instant silencieux qu’il n’osa pas briser.

Elle recherchait un styliste? Cela confirmait plus ou moins son hypothèse : elle était sans doute un mannequin. Ça ne serait guère étonnant après tout! Le fait qu’elle soit à la recherche d’une personne douée en stylisme lui faisait fortement penser qu’elle cherchait sans doute à se procurer de nouveaux vêtements, et cela se rapportait beaucoup au mannequinât, d’autant plus qu’elle avait le physique pour.

Akiya n’avait pas encore brisé le silence. Il s’était contenté d’arqué légèrement un sourcil, l’incitant à poursuivre sa réplique qui ne semblait pas vouloir s’arrêter là. Ce fut donc de sa voix basse, une voix dont les tonalités étaient agréables à l’oreille telle le bourdonnement grave d’une contrebasse, qu’elle poursuivit en le questionnant sur son identité. Voilà qu’il entrait enfin en scène quand elle lui demanda s’il était styliste, s’étant sûrement fié à l’apparence du jeune homme pour émettre une hypothèse entre les lignes de leur rencontre qui n’était pour l’instant qu’une simple esquisse.

« Moi? Eh bien… cela dépend. »

Le jeune homme redressa jusqu’à ses coudes les manches de sa chemise noire dont l’aspect sérieux était brisé par des imprimés divers, geste qui dévoila de nouveaux symboles asiatiques tatoués sur sa peau ivoire. Akiya se redressa, quittant le cadre de porte pour pénétrer dans la pièce, sans se rapprocher d’elle de trop prêt, respectant un minimum cette distance établie entre eux deux. Celui-ci eut pour réflexe, dans les quelques pas qu’il fit entre les tables où l’esquisse de plusieurs travaux traînaient, de prendre légèrement appui sur ces tables du bout de ses doigts effilés, se guidant pour ne pas perdre pied par la faute de sa vision qui ne lui indiquait pas s’il était sur le point de heurter un mur ou non. Notons qu’il se débrouillait tout de même très bien, habitué à son handicap qui pouvait même passer inaperçu lorsqu’on avait pas remarqué son œil sans éclat. Faut-il dire qu’il ne savait même pas à quoi un monde en trois dimensions pouvait ressembler… M’enfin; après quelques instants, qu’il prit avec la même lenteur ironique que prenait la jeune femme dans ses gestes et paroles, le jeune homme vint enfin se retourner à nouveau vers elle, ne lui offrant que la moitié de son regard. L’autre partie, elle, était camouflée par quelques mèches de cheveux d’un noir profond.

« Pourquoi veux-tu faire affaire avec un styliste? »

Voyons voir… avait-elle besoin d’une tenue qui la mettrait en valeur pour une soirée spéciale? Ou alors elle voulait épater son nouveau copain? À moins qu’elle n’ait besoin d’une nouvelle tenue pour une séance de photos… Beaucoup d’hypothèses étaient possibles. À elle d’éclairer un peu sa cause, et peut-être lui serait-il utile par sa futur carrière de styliste.

Oh, mais avait-il l’intention de l’aider? Tout comme il l’avait déjà dit, cela dépendait. Certes, il pouvait très bien la narguer un certain temps pour ensuite la laisser tomber. Il était de son genre de se montrer détestables et mesquin… c’était plutôt amusant. Mais il était également probable qu’il décide plutôt de l’aider. Ça, ça allait dépendre de la suite des événements. Akiya aimait être directe et aller droit au but… mais en cette situation, n’était-il pas beaucoup plus intéressant de jouer le jeu et de prendre son temps et laissant planer le mystère dans la pièce?

S’accotant de dos sur une table, le jeune homme la regarda d’un œil énigmatique, ce léger sourire planant encore sur le coin de ses lèvres. Jouant avec son écouteur droit qui n’était plus dans son oreille, le garçon attendit une réponse, feignant un air distrait malgré sa curiosité.

Nailah se sentait lentement envahir par la jubilation. Elle échauffait son sang, envahissait ses veines, pervers sentiment qui la laissait s'emporter dans ses jeux divers, tous plus excitants les uns que les autres. Le tout avec une certaine lenteur, mesurée et frustrante. Le jeu du chat et de la souris impliquait qu'elle garde son calme. Chose au combien difficile. Et si exquise. Il ne fallait pas si tromper. Elle restait maître de la façade qu'elle avait précautionneusement construite en tant d'années, froide, calculatrice. Seul les éclats onyx de ses prunelles pourraient éventuellement la trahir quelque peu. Cependant, Akiya ne connaissait pas Nailah. Il ne savait rien d'elle et ne pouvait par conséquent se baser uniquement sur quelques hypothèses abstraites, sans le moindre sens. Aucune certitude pour lui, concernant la jeune femme.

Il va sans dire que cela était réciproque. Elle n'arrivait pas à savoir ce qui se cachait derrière l'air espiègle du styliste. Pas la moindre connaissance de l'adversaire, c'était ce qui rendait le jeu plus vivant, plus captivant au goût de la jeune femme. Bien sûr, il arrivait qu'elle soit déçue, souvent même. Mais de temps en temps, il arrivait que quelqu'un soit à la hauteur. Cela se muait alors en véritable bataille, comme elle les aimait, subtiles et douceâtre, uniques. Parfois plus. Et venait le moment ou elle se lassait, puisque, bien entendu, mademoiselle était capricieuse. Mademoiselle se lassait de ses jouets aussi vite qu'elle s'y intéressait, laissant alors la rencontre à l'état de souvenir, instant fugace, intense, mais déjà oublié, l'amer habitude l'en ayant détaché.

Enfin, pour le moment, ce qui attirait l'attention de la belle était l'air faussement détaché, la désinvolture de son vis-à-vis. Devrait-elle se sentir excédée? Avait-elle la moindre certitude de l'intéresser. Non. Non. Mais bien que la réponse aux deux questions précédentes fut négative, cela n'empêchait pas le fait qu'elle mènerait son jeu jusqu'au bout. Elle allait toujours, ou presque, au bout des choses, on ne faisait jamais dans la mesure, avec Nailah, vous devriez vous en douter. Parce qu'elle avait un égo surdimensionné -ô combien surdimensionné-, parce qu'elle pensait toujours être à la hauteur, parce qu'elle saurait toujours comment s'en sortir. Enfin, tout du moins, c'était ce qu'elle croyait. Vivement le jour où son narcissisme sera mis à rude épreuve, ça lui apprendra une autre facette de la vie, à la vile jeune femme.

Elle se redressa en une pause moins lascive, plus sérieuse et plus froide, ayant perdu tout sourire amusé au joueur. Presque dédaigneuse, se demandant comment il réagirait face à un changement total d'humeur, elle lâcha:

-À ton avis, en quoi pourrais-je avoir besoin d'un styliste?

Elle pencha légèrement la tête sur le coté, laissant ses cheveux d'ébène former une cascade ondoyante le long de son épaule, jouant les déesses insatisfaite, sans soucis pour son égo. Ses boucles d'oreilles d'argent tintèrent à ses oreilles, reflétant vaguement une faible lumière, l'ambiance nocturne gagnant peu à peu la pièce. Bientôt, ils ne s'apercevraient qu'en ombre, vagues silhouettes dans l'obscurité, sans que le physique n'ait plus rien à voir dans leur jeu. Un atout de perdu pour Nailah, peut être. Ou pas. Puis, elle modula à nouveau sa voix, plus suave, plus basse, comme un secret partagé, lourd de sous entendu, et prononcé en toute innocence:

-Et qu'est ce qu'un styliste aurait à gagner à me rendre service?

Elle avait l'argent. Elle avait la beauté. Pas la peine de le dire, bien entendu. Cela fausserait toute réponse. Cela serait étaler ce qu'elle avait, alors que c'était déjà flagrant. Cela serait que pure bêtise que de pousser les choses trop loin, elle le savait. Avait-elle vraiment un quelconque besoin de vêtements pour épater? Pour se sentir elle? Ou bien n'était-ce qu'un caprice de plus à ajouter à sa longue liste? Cela aussi serait un défi pour Akiya, n'est-ce pas? Oh, et puis, il était toujours envisageable, selon Nailah, qu'un styliste veuille d'elle uniquement pour le plaisir de pouvoir en faire sa poupée, de l'habille à sa guise, de la voir porter ses créations en toute splendeur. Plutôt sympa la pub, hein?

Quoi qu'il en soit, Akiya devrait se montrer prudent, et se douter du fait qu'elle était d'une nature volage et inconstante, choisissant ses rapports avec soins, sans se soucier de l'avis des autres. Nailah pouvait, pour sûr, se montrer très désagréable, être insupportable, se fichant des liens liés avec un mépris véritable. Son caractère, elle le devait à son passé, elle n'y était pour rien. Elle changera, un jour. Mais pas maintenant. Nombreux sont ceux qui devront encore la supporter.

Allons bon, peut être que notre cher ami saurait y faire avec la douce Vipère.

C’était de découvrir peu à peu le caractère de la jeune femme qui était si intéressant. À vrai dire, si cette personne qu'il fixait avait été d'une psychologie banale et passe-partout, il s'en serait sans doute lassé depuis un bon moment et peut-être aurait-il déjà tourné les talons vers la sortie de la pièce. Après tout, il n'éprouvait pas réellement d'intérêt envers les gens trop gentils, ni trop normaux. En tout cas, pas dans une situation comme celle-ci où il avait envie de s'amuser, de se détendre sans employer une conversation sans but. Et il n'était guère nécessaire de préciser que cette élève, qu'il soupçonnait d'être liée au monde du mannequinât, était loin d'être d'une trop grande gentillesse, ni banale en son genre. Elle était différente des autres - de certains, en tout cas - et cela lui plaisait selon son humeur présente. C'était avec ces gens là qu'il était possible de s'amuser un peu. Oh, parfois le jeu devenait ennuyant... mais souvent, il était suffisamment distrayant pour attirer son attention.

Oh, non, elle n'était pas banale. Que détectait-il sur son visage d'une finesse qui allait parfaitement avec cette certaine touche froide et hypocrite? Rien de bien fréquent chez les autres, sinon cette touche d'impassibilité défensive qui en cachait sans doute beaucoup. Après tout, moins on en montrait, plus on en cachait, non? Peut-être pas, en fait... mais c'était une possibilité très vraisemblable qui s'appliquait pour lui aussi.
Il était amusant de tenter de comprendre un être aussi complexe que l'était l'humain. Tant de choses à découvrir... par exemple, ce soudain changement d'humeur chez la jeune femme. N'était-il pas captivant de noter ce contraste instantané qui fit son apparition lorsqu'Akiya prit la parole? De découvrir ce qui l'avait si vite amené à employer une humeur dédaigneuse et impatiente n'était pas une chose facile, mais cela captait assez bien son attention envers elle. Quand la curiosité était touchée...

Sa prise de parole amusa bien le garçon, non pas que ses paroles en tant que telles fussent amusantes, mais bien qu'elles étaient surtout teintée indirectement d'une certaine naïveté à ses yeux. Le ton qu'elle avait employé avait semblé ironique, comme si la réponse à la question avait été d'une évidence totale. Mais était-ce réellement le cas? Il semblait qu'aux yeux d'Akiya, c'était loin d'être le cas. Dépendant de quelle point de vue on voulait bien prendre la question, bien entendu.

Si elle décida d'utiliser tout de suite la froideur et le dédain, ce ne fut pas le cas du jeune homme. Non, en fait, sans perdre son sourire et même en lâchant un court et silencieux ricanement, celui-ci leva les yeux au ciel quelques fractions de secondes, comme s'il avait trouvé la question de la jeune femme impertinente - ce qui n'était pas tout à fait faux - . De surcroît, il gagna également un sourire plus grand que le précédent, un grand sourire qui était un peu moqueur si on cherchait bien là où il le fallait.

« Tout styliste n’est pas approprié à tout service, très chère. »

Certes, on avait besoin d'un styliste pour avoir de nouveau vêtements. Mais quel genre de nouveaux vêtements voulait-elle, et pourquoi les voulait-elle? Des questions plutôt importantes et peut-être que selon les réponses qu'elle voulait bien lui donner, il ne serait pas apte à répondre à ses besoins. Ou alors il le serait... mais pour l'instant, c'était encore indéterminé et cela le serait jusqu'à ce qu'elle veuille bien lui détailler sa commande qu'il n'avait pas encore accepté de prendre ne charge.

Le jeune homme, feignant à nouveau l'indifférence comme il le faisait si bien et si souvent, l'écouta poser sa prochaine question tout en faisant dérouler la liste de lecture de son Ipod devant ses yeux rouges par ses lentilles, comme s'il n'était que très distrait en ce qui concernait la jeune femme, bien qu'elle avait pratiquement toute son attention. Si l'insouciance était présente, ce n'était que très peu. Après tout, si Akiya était là, c'était pour se distraire... alors il se devait d'être quelque peu intéressé par la situation, même s'il se devait de ne pas le montrer.

« Un styliste comme moi n'y gagnerait probablement rien, malheureusement. »

Il avait légèrement remonté son regard vers elle. Sans plus.

Ce n'est qu'à ce moment-là que le jeune homme vint s'apercevoir que l'obscurité semblait commencée à prendre de l'importance dans la pièce. Bientôt, sa vue qui était déjà mauvaise à la base, serait pratiquement nulle à cause de la prochaine trop grande ressemblance entre les couleurs de chaque objet de la pièce lorsque celle-ci serait assombrie. Peut-être qu'allumer la lumière n'aurait pas été une mauvaise idée...? Mais bon, se rendre jusqu'à l'interrupteur était déjà une tâche assez difficile pour Akiya, avec toute ces tables çà et là. Tant pis pour l'obscurité... il s'y ferait sans doute malgré son handicap. Oh, demander de l'aide à la jeune femme? Nan... Cela serait semblable à avouer une faiblesse et ce serait contre les règles du jeu.

Bien entendu, aider cette jeune femme n'était pas d'une très grande utilité au garçon. Cela ne lui apportait pas grand chose... que pouvait-il bien vouloir d'elle? Rien de matériel. Sa préoccupation principale était plutôt de se détendre, de voir une facette de son caractère en s'amusant à l'explorer par des questions et des phrases dont les mots pourraient lui faire plaisir ou l'irrité. Rien de plus, rien de moins. Après tout... il n'avait besoin de rien de plus. De l'argent? Il en avait déjà beaucoup. Une nouvelle amie? Ciel... Akiya ne croyait même pas en l'amitié. Des contacts? Ce n'était guère utile... Autre chose? Oui mais quoi? Non, décidément, il n'avait besoin de rien. S'en était presque désolant.

« Si tu me disais de quel genre de vêtements ta garde-robe est-elle en manque? »

Quelque chose d'élégant? Quelque chose de passe-partout ayant une certaine classe? Quelque chose qui ne passait pas inaperçu? La liste des possibilités était longue... Lui donner quelques indices était sans doute l'une des choses utiles qu'elle avait la possibilité de faire. Restait à savoir si obtenir de telles informations de la part de la jeune femme serait une chose simple ou difficile. De son caractère impévisible, c'était indéterminable.

Oui, les stylistes étaient tous bien différents, possédant chacun leur domaine de prédilection, leurs gouts, leurs envies. Leur vie en elle même influençait leur créations, un peu comme tous les artistes. Une facette du métier que Nailah appréciait. Oh, et puis, bien entendu, elle avait une seconde opinion sur la question, l'évidence même selon elle: seuls peu d'entre eux pourraient se voir octroyer l'immense privilège de partager son lit. Uh? Ne pensait-elle qu'à cela? Probable. Enfin, cela n'allait pas durer. Une Nailah contrariée ne pensait plus uniquement à ce qui était bon ou non pour ses plaisirs charnels. Non, ses idées devenait autrement plus intéressantes. Cela pouvait aller jusqu'aux options de meurtres et la torture. Hélas, je crois bien que ce sont là quelques répercussions de son enfance sur sa psychologie déjà bien tordue.

Oula. Le jeu perdait de sa saveur. Ou en gagnait, tout dépendait du point du vue. Quoi qu'il en soit, Nailah était mécontente. Et il était aisé de le voir: ses lèvres s'étaient légèrement plissés, ses sourcils froncés, ses yeux étrécis et assombris. Mais pouvait-on réellement le remarquer dans la semi obscurité? Ce qui avait contrarié la demoiselle, c'était l'une des phrases d'Akiya, vous vous en doutez. Plus précisément, celle où il prétendait qu'il n'y gagnerait probablement rien. Comment pouvait-on penser une telle chose? Elle trouvait cela totalement inconcevable. Et pour cause: elle était magnifique. La côtoyer, en soit, devait être l'égal d'une bénédiction. L'apercevoir devrait être comme une chance, un mythe, telle une vague apparition divine. Heu... Nailah? Oui, elle ne s'arrangeait pas. Ce n'était plus du narcissisme au point où on en était, mais comment appeler cela? D'ailleurs, il était certain que si son vis-à-vis avait la possibilité de percer le mystère de ses pensées, il ne resterait pas là bien longtemps. Enfin, pour le moment, il devait trouver Nailah amusante, avec ses véritables sautes d'humeur. Bref. De façon plus générale et sans se plonger dans l'égocentrisme de notre jeune amie, il fallait avouer que faire affaire avec elle pouvait avoir un côté insipide. L'amitié, elle s'en foutait aussi. L'argent, s'il n'en voulait pas, c'était son problème, pas le sien. Mais l'habiller, elle devrait être un bonheur. Jouer avec elle, devrait en être un aussi, n'est-ce pas? Mais une fois lassé du jeu, il ne restait rien. Ainsi allaient les fréquentations de Nailah.

« Si tu me disais de quel genre de vêtements ta garde-robe est-elle en manque? »

Ben voyons. Elle ne manquait de rien, c'était bien connu. Cependant, elle désirait tout. En un sens, elle pouvait, parfois, ne pas être bien difficile. Et d'autre, exigeante comme jamais. Un peu paradoxale, notre amie Nailah. Elle se leva, toujours aussi féline, s'amusant à se rapprocher un peu, dans la pièce sombre. Histoire de ne pas perdre de de vue son interlocuteur, disons. Cela perdait de sa saveur, autrement. Le handicap d'Akiya, elle n'en savait rien. Impossible d'agir en conséquences, alors. Et elle préférait l'obscurité, en un sens. Aussi bien que la lumière des projecteurs rivés sur elle, ou la chaleur du soleil. Uh? Nailah se mariait bien avec la plupart des ambiances, en fait. Du moment qu'on ne la plaçait pas dans une fête pour gosse à jouer le clown ou en tant qu'ouvrière -j'en passe et des meilleures- tout devrait aller pour le mieux.

Elle se demanda un instant quelle attitude adopter, avant de reprendre un air plus sérieux. Après tout, la mode, l'art, le mannequinat, la photographie et le stylisme étaient des sujets à prendre au sérieux, ici. Les passions de ce genre n'étaient pas à prendre à la légère en permanence, contrairement au reste.

-Disons que je ne suis venue avec presque rien. Et que j'ai des goûts à la fois variés et particuliers. Cela t'éclaire-t-il, ou bien faudrait-il que je bride toute créativité en imposant mes critères?

En même temps, du moment que ça lui allait, que ce n'était ni ridicule, ni gamin... Du moment qu'on ne ternissait pas sa personne et qu'une profond respect, une classe sans pareille se dégageait d'elle. En fait, c'était cela, ses vrais critères. Elle pouvait aussi bien porter des couleurs vives que ternes, des robes courtes ou longues, des tailles basses ou hautes, des manches évasées ou trois quart, des décolletés provoquant ou un col sage... Nailah était l'image même du mannequin polyvalent, que l'on pouvait habiller presque comme on voulait sans que cela choque.

Elle aurait voulu finir sa petite tirade par un suffisant: « fais toi plaisir » mais cela impliquerait qu'elle lui demandait directement de lui faire des vêtements. Or, il ne s'était pas réellement proposé, n'est ce pas? A vrai dire, il n'avait même pas donné son nom. Nailah se contenta alors d'aborder une moue espiègle, difficile à deviner dans le noir. Immobile, elle se contenta d'attendre. Une proie, un refus, une fuite, quelque chose. Et en fonction du quelque chose en question, elle verrait comment considérer Akiya à l'avenir. Elle catégorisait la plupart des gens, et pour l'instant, le styliste était dans les cases « intéressant » et « un peu agaçant ». Peut être d'autres, plus tard. Enfin, elle verrait, si elle en avait l'occasion.

Car jamais rien n'était joué d'avance.

Était-ce un sentiment de mécontentement qui se faisait ressentir dans l’atmosphère de la pièce alors que le jeune homme lui avait avoué qu’il ne gagnerait sans doute rien à l’aider? La certitude n’était pas présente; la pièce était sombre, la vue n’était presque plus utile dans son cas. De surcroît, se fier à ses impressions sur l’ambiance que dégageait la pièce n’était sans doute pas la source la plus convaincante. Malgré tout, Akiya avait cette claire impression que ses paroles avaient provoqué une certaine émotion chez elle. Quelque chose lui avait déplu dans le choix de ses mots, peut-être? Pourtant, il avait été certain de ne pas avoir manqué de délicatesse. En tout cas, il lui semblait ne pas avoir été plus brusque qu’il ne l’était en temps normal. Avait-il malgré tout réussi à l’agacer? Quelqu’un de censé aurait pu s’en vouloir, trouver la nécessité de s’excuser importante. Mais il semblait que le jeune homme ne trouvait ça que plus divertissant. C’était comme s’il venait de marquer un but dans un sport quelconque: c’était motivant et ça ne faisait que l’encourager à poursuivre le jeu.

Ah, elle était venue ici avec presque rien. Étonnant, il aurait pourtant juré que ce genre de personnes avaient l’habitude de traîner avec elles toute leur garde-robe à chaque déplacement durant plus de deux ou trois jours. C’était bien la preuve que les préjugés n’étaient pas quelque chose sur quoi il fallait se fier. Enfin! Cela dépendait, bien entendu, de ce que « presque rien » voulait bien signifier pour la jeune femme, mystérieux personnage qui l’intriguait de plus en plus, mot après mot. Presque rien... cela voulait-il dire qu’elle était arrivé ici avec une minuscule valise seulement, sans plus? Peut-être. Mais un « rien » pouvait être beaucoup aux yeux de certaines personnes... C’est là qu’on pouvait se demander, « entre celui qui n’a rien et celui qui a tout, lequel des deux est le plus pauvre ? » . Ah, la philosophie… Akiya la trouvait bien intéressante, cette philosophie qui lui ressemblait un peu. Au premier regard, on peut la trouver un peu loufoque… mais lorsqu’on la regarde bien et qu’on apprend à la connaître, elle devient alors remplie de sens et de sagesse.
Des mots, des mots, on en n’aura jamais eu assez pour décrire tout ce que l’on pouvait décrire…

Le garçon la vit se rapprocher de lui, du moins il en eut l’impression et il la laissa faire sans réagire autrement que de la viser de son regard rouge par ses lentilles après avoir placé son lecteur de musique dans la poche de son pantalon unique en son genre. Des goûts variés et particuliers… Quoi de plus vague. Avec si peu d’information, il était plutôt difficile de cerner ce qu’elle voulait comme vêtement. Il en conclut donc qu’elle n’avait pas d’idée fixe et qu’elle n’avait pas besoin de nouveaux habits pour une soirée ou un événement. Elle en voulait, simplement. Avait-il le talent suffisant pour lui confectionner une tenue qui lui irait bien? Mmm…

Akiya la détailla à nouveau malgré la noirceur, et cela avec plus de précision que la première fois, sans que son geste visuel n’est une touche perverse ou déplacée. Ses yeux se posèrent d’abord sur ses pieds, d’une longueur raisonnable par rapport à leur finesse, puis ils montèrent jusqu’à ses interminables jambes, longues et minces, sans doute alléchante pour plus d’un. Il en arriva par la suite à observer cette élégante robe noire qu’elle portait avec une certaine classe. Celle-ci mettait en valeur ses courbes bien placées et plutôt prononcées. Une taille fine, une poitrine raisonnable… le jeune homme n’en était pas encore arrivé à son visage, mais il pouvait déjà aisément affirmer qu’elle avait un corps parfait pour un mannequin. Oh, certes, il le savait déjà… mais venait tout juste de réellement le réaliser.
Après avoir observé délicatement le cou de la jeune femme, aussi fin que le reste de son corps, il en arriva finalement à son visage, mince et pointu. Des traits précis et symétrique, sans défaut apparent. Son nez était droit et délicat, ses lèvres, fines et pulpeuse, juste assez pour être tentante. Vint enfin cet instant où ses yeux analyseurs vinrent rencontrer les siens. Bridés comme ceux de tous les asiatiques, ils étaient d’un noir profond dans lequel tant de chose étaient gravées, mais de façon trop floue pour qu’il puisse les déchiffrer. La seule chose qui était claire était cette lueur qui, tantôt amusée, était devenue sérieuse. Décidément, ce regard qu’elle avait était sans doute le point le plus marquant qu’elle avait sur elle. Terminons en parlant de ses cheveux noire, longs et soyeux d’apparence, qui encadrait son visage en accentuant ses yeux sur sa peau pâle.
Conclusion? Il était difficile de lui trouver un défaut. Physiquement parlant, bien sûr.

Suite à cette longue et lente analyse qu’il fit d’elle, examen assez précis malgré l’obscurité qui persistait à vouloir régner dans la pièce, le garçon laissa son imagination, son inspiration se mouvoir dans sa tête, créant peu à peu des créations diverses, tous différentes les unes des autres par différents styles, différentes couleur. Oh, certes, il se sentait aisément capable de créer une tenue qui s’agencerait bien avec cette personne qui se tenait devant lui. En même temps, il n’était pas bien difficile de trouver des habits appropriée à la jeune femme. C’était comme lorsqu’il dessinait! Créer un personnage parfait, d’une beauté incontestable s’agençant avec une perfection irréelle était une chose plutôt facile. Toutefois, inventer un personnage laid, même hideux, tout en gardant en tête l’aspect d’un dessin précis et réussit, respectant les proportions du corps humain sans faire d’erreur, était une tâche beaucoup plus ardue... Enfin, vous comprenez le principe?...

« Je vois le genre », fit-il d’un ton presque désintéressé. Provocation?

C’est d’un geste distrait que le jeune homme se mit à jouer avec l’une de ses bagues qui ornait ses mains effilées et tatouée sur ses phalanges. Il la regardait la regarder, sachant pertinemment ce qu’elle attendait de lui. En tant que styliste, certes. Deux choix s’offraient à lui : accepter ou refuser. Accepter… cela serait sans doute sympathique de sa part, même s’il n’attendait rien en retour de la jeune femme, qui, de toute façon, ne lui donnerait sûrement rien en retour. Mais.. ouais. Ce serait sympa. Refuser? Bah! Cela lui aurait permis de s’amuser un peu plus longtemps, et peut-être de provoquer une émotion chez elle se rapprochant de la frustration. Alors, que faire? Mmm… c’était vraiment difficile à déterminer. Quoique…

« C’est la nuit qu’il est beau de croire à la lumière », dit-il en tournant quelque peu ses yeux vers une fenêtre de la pièce, fenêtre qui n’affichait qu’un ciel presque entièrement obscure. « Tu veux bien allumer la lumière? », ajouta-t-il sur un ton qui n’attendait pas réellement de refu.

Oh, changement de sujet soudain? Et qu’est-ce que cette citation voulait-elle dire, avec quoi avait-elle un lien, sinon la noirceur de la pièce? C’était le genre de question qu’on pouvait sûrement se poser à cet instant. Mais avec Akiya, il était toujours difficile de savoir s’il fallait chercher loin ou pas pour comprendre ses paroles qui, au premier regard, pouvaient facilement paraître sans logique et sans sens.

« Je suis certain que des tas de jeunes hommes voudraient bien s’occuper de ce vêtement dont tu as besoin. »

Retour au sujet de départ. Refus de sa part? Cela pouvait ressembler à cela, en effet. Mais était-ce réellement le cas? Il n’avait pourtant rien dit de telle. Et si c’était uniquement pour prolonger le jeu, pour voir jusqu’où sa patience pouvait aller? Elle avait un grand choix d’hypothèses… encore fallait-il qu’elle ait une mentalité aussi vaste que la sienne.

| J'ai eu un peu de temps pour répondre malgré le fait que
je t'avais dis que je ne pourrais pas répondre avant la semaine prochaine... ;] |

Nailah se laissa détailler. Elle aurait pu faire une quelconque remarque quand à l'impolitesse de son vis-à-vis, elle aurait pu le toiser d'un air mécontent, ou encore balancer sarcastiquement une insinuation dont elle avait le secret. Mais non. Qu'il la contemple s'il le souhaitait, bas en haut. Elle se trouvait belle, elle n'éprouvait par conséquent aucune honte à ce qu'on la regarde. En fait, elle se trouvait bien plus que belle ou agréable à regarder. Voyez-vous, Nailah se pensait tout bonnement irrésistible, magnifique, sulfureuse, ardente... Une forme de perfection émanait d'elle, il fallait l'avouer. Cependant, il serait temps que notre jeune mannequin en herbe, aussi riche soit elle, commence à se rendre compte que tout ne lui était pas dû, que tous ne l'apprécierait pas. Enfin, elle se fichait d'être appréciée par la gente féminine notons. Peu de demoiselle la portait dans leur coeur et ce à juste titre.

Personne n'est parfait, n'est ce pas?

Nailah rétorquerait qu'elle est Personne.

Nous n'y pouvons rien, cependant. L'égo surdimensionné de la belle finira par lui jouer des tours, et ce sera bien fait pour elle. Bref. Ce qui importait à cet instant précis, c'était son jeu, qui redevenait intéressant à son goût. Pourquoi plus intéressant? Et bien, la provocation pardi! Tout le monde sait que si on provoque cette chère Nailah, elle réagira forcément. En bien ou en mal, bien sûr. Elle pouvait aussi bien se montrer glaciale et imperturbable -ce qui, en soi, est une réaction chez elle- ou alors faire preuve de véhémence et étaler sa splendide fureur. Là était toute la personnalité changeante de Nailah, aussi bien ronronnante que sortant les griffes, elle pouvait changer du tout au tout sans prévenir, aussi mystérieuse que les aléas de la nature.

La nature... Cela lui correspondait si bien. Elle pouvait être comme l'océan. Parfois calme, doux, chaleureux. Mais aussi déchainé, écumeux... Le vent pourrait tout aussi bien le correspondre, me direz vous. Bise douce et légère, brise glacée, tumultueuse tempête dévastatrice. Le feu. Une flamme était, agréable mais, dès que l'on s'en approche de trop, elle brûle... Et la flamme, elle, avait cette faiblesse. Elle mourrait si on la coupait de son oxygène ou si on l'aspergeait d'eau, restant alors que cendres et bois consumé. Oui. Nailah était emprunte d'une certaine fragilité, même si, ardente, elle ne le montrerait jamais. Ah, cette chère Nailah. Le changement, c'était ce qui te seyait le mieux, personne ne peux dire le contraire. Les secrets de la beauté de l'inconstance sont indéchiffrables.

Elle l'observa alors qu'il jouait distraitement avec l'une de ses bagues. Elle en était entièrement satisfaite. Elle se doutait qu'il se demandait quoi répondre. Elle savait qu'il connaissait parfaitement ses intention à elle. Refuser? Accepter? Chercher une excuse? Non, oublions l'idée de l'excuse, elle ne pensait pas qu'il serait du genre à chercher des prétextes stupides et inutiles. Elle le voyait bien plus direct et subtil à la fois.

« C’est la nuit qu’il est beau de croire à la lumière »

Elle haussa un sourcil. Ben voyons. Maintenant, on philosophait. Si Nailah était d'une nature brillante, elle n'arrivait pas à saisir ce que voulait dire son interlocuteur. Les interprétations étaient nombreuses, diverses, comme pour toutes phrases de ce genre. Elle ne savait pas vraiment que penser de cela pour le moment, tout du moins. De toute façon, Akiya enchaînait déjà, demandant à ce qu'elle allume la lumière.

...

Pardon?

Nailah? Demander quoi que ce soit à Nailah et son égo surdimensionné? Il ne pouvait pas le faire lui même? Il était le plus proche de l'interrupteur, pourtant. Non, Nailah n'avait toujours pas deviné son handicap. A vrai dire, quand bien même aurait-ce été le cas, elle aurait eu la même réflexion. Il n'était pas dans ses habitudes de prendre les gens en pitié. Certains préférait cela, me direz vous, plutôt que d'être considéré comme anormal, comme une plaie, devant subir en plus de leur handicap le regard des autres. Allez savoir laquelle de ces deux attitudes était la plus détestable. Qu'on vous lance un regard apitoyé, ou bien indifférent? Je suppose que cela dépendait des personnes...

Elle songea un instant à refuser, mais, se doutait qu'elle n'obtiendrait pas d'aide si elle ne s'exécutait pas. Bon, d'accord, de l'aide, elle en trouverait ailleurs si elle le voulait. Akiya n'en restait pas moins intriguant, alors elle ne voulait pas stopper leur petit jeu dès à présent. Ce serait un gâchis fort regrettable. Elle inspira un grand coup puis lui lança un regard noir, signifiant qu'elle n'était pas là pour lui obéir, mais qu'elle faisait -certainement- cela pour son propre confort. Légère et féline, elle s'approcha d'Akiya. Joueuse, elle laissa les pends de sa robe le frôler, son parfum le chatouiller, sa sensualité l'agresser. Il ne pensait pas qu'il allait s'en sortir aussi facilement après lui avoir demandé quelque chose, tout de même? Elle le dépassa, sans un regard de plus, avant de trouver l'interrupteur dans l'obscurité et d'allumer la lumière. Les ampoules grésillèrent légèrement, clignotèrent avant d'éclairer parfaitement le désordre de la pièce.

Nailah fit volte face, s'adossa nonchalamment contre le mur, les mains puérilement croisées derrière elle, les jambes croisées. La lumière était claire et permettait de voir nettement lorsque l'on travaillait dans la pièce. Cela n'était pas embellissant comme les projecteurs d'un podium, quoi que Nailah n'eut pas besoin qu'on l'embellisse de quelque manière ce soit. Il était amusant de voir à quel point les ombres sur son visage se transformaient, sans pour autant la défaire de son air hautain. Elle se décida, enfin, à répondre à la dernière phrase du styliste, narquoise, sans chercher à cacher une vérité. Enfin, quand on écoutait Nailah, tout -ou presque- n'était que vérité.

-Ce serait mentir que de te dire que je n'avais pas l'intention de demander à d'autres personnes.

Oui, tout à fait logique. Demander à plusieurs personnes lui assurait ainsi d'avoir des vêtements variés, et éventuellement plus de jeunes hommes tout à fait séduisant dans son entourage. Il n'y avait pas de quoi être jaloux, après tout. Uh? Bien sûr qu'elle assimilait la remarque d'Akiya à de la jalousie. Oh, il était probable qu'elle se trompait, mais son égo était là, on n'y pouvait pas grand chose. Nailah se prenait pour le nombril du monde, comme toujours. Elle poursuivit d'ailleurs, égale à elle même:

-Me contenter serait une tâche bien trop ardue pour un seul homme.

Ô prétention, douce prétention. Ben voyons. La miss je narcissique avait les chevilles qui enflaient à tous les coups. Ou peut-être était-elle quelque peu contrariée, qui sait? La réponse de son interlocuteur pouvait très bien être assimilée comme un refus. Uh? Non, on ne refusait rienà Nailah impunément...

Ce n’est qu’après avoir cillé un instant que les lumières de la pièce vinrent enfin illuminer l’endroit de façon nette et précise, aveuglant du même coup le jeune homme sous ce rapide changement d’éclairage. Ce n’est que quelques secondes plus tard que ses yeux dépareillés vinrent enfin s’habituer à cette nouvelle lumière qui lui permettait enfin de voir droit devant lui sans les difficultés que la noirceur lui procurait. Oh, bien sûr, son handicap, lui, n’était pas corrigé, mais cette pensée ne lui vint même pas en tête; pour lui, la vie avait été créée en deux dimensions. Il ne connaissait nullement la troisième et ne voulait pas la connaître. Enfin… il ne voulait plus la connaître. C’est au fil du temps qu’on découvre qu’on possède tant de choses dont on pourrait se passer…
S’il avait vu ce regard rempli de reproches qu’elle lui avait lancé sous la demande qu’il lui avait faite? Malheureusement, il n’en eut pas la chance… Toutefois, il ne manqua pas de remarquer à qu’elle distance de lui elle passa pour atteindre l’interrupteur et ça, il n’avait pas besoin de ses yeux inefficaces pour le deviner. La souplesse du tissu de la robe de la jeune femme vint furtivement le frôler, tandis que le silence de la pièce lui aurait presque permis d’entendre le souffle de la belle près de lui. Embaumons même le tout en allant jusqu’à dire que son parfum ne passa pas inaperçu à ses narines. Provocation volontaire? Alors il s’agissait sans doute de sa réponse par rapport à cet « ordre » qu’Akiya lui avait lancé en ce qui concernait les ampoules de la pièce. Décidément, cette demoiselle ressemblait à ceux qui était du genre à ne jamais rien donner sans recevoir en retour. La seule différence qui se pointait avec elle, c’était qu’il devinait qu’elle ne donnait presque jamais rien, mais en voulait toujours en retour. C’était charmant que de voir cet égoïsme qu’elle avait, bien incrusté en elle. Cet égoïsme, il était amusant de dire que beaucoup le partageait, sans réellement s’en apercevoir.

Ah bien sûr, il s’y attendait. Elle n’avait jamais eu en tête l’idée de demander à une seule et unique personne de lui rendre ce service dont elle avait de besoin. Mieux valait faire travailler plusieurs personnes, ainsi elle en obtenait plus sans dépenser de réels efforts supplémentaires. Sur ce point, Akiya devait avouer que c’était brillant; il aurait sûrement fait la même chose. Au fond, aussi différent l’un était de l’autre, peut-être se ressemblaient-ils, d’un certain point de vue, bien que ni un ni l’autre n’oserait l’affirmer. N’était-il pas lui-même quelque peu atteint par le narcissisme? Certes, il ne s’en apercevait pas et ce pouvait être sournois, même pour un observateur averti. Il ne se décrivait pas comme étant une personne narcissique, loin de là! Mais était-ce réellement une vérité pour lui, qui, pourtant, portait une importance assez grande envers son propre look, son apparence? Il se fichait de l’opinion des autres sur ce point, oui. La seule opinion qui lui importait était la sienne, puisqu’à ses yeux, c’était la meilleure. Peut-être qu’il se faisait passer pour quelqu’un de bien, sans vraiment l’être. C’était sans doute hypocrite de sa part.
Apprendre à connaître Akiya était une chose… mais il était tout un art d’essayer de le comprendre, lui et l’être complexe qu’il pouvait être. Une personne bien? Une personne amical? Une personne peu fréquentable? Une personne malveillante? Il avait plusieurs faces, il fallait le voir et le comprendre.

« Il est sans doute la meilleure chose à faire que de refiler le travail à plusieurs personnes. »

On aurait pu croire à un sarcasme. Pourtant, ni ses yeux, si le ton de sa voix ne semblait être touché par l’ironie. Il était sincère dans ses paroles, dans son opinion. Le remarquerait-elle? Qu’importe. Il n’avait pas été dans ses intentions de lui montrer quelques chose au-delà de ses paroles. Pas cette fois-ci.

- Me contenter serait une tâche bien trop ardue pour un seul homme.

« Oui, je sais. »

Trois mots, un sourire. Se moquait-il d’elle? C’était ce que cet espiègle sourire qui était venu se tracer sur ses lèvres semblait vouloir signifier. Au fond, cette conversation qu’ils avaient n’était que prétention et provocation. Un jeu, quoi! Et c’était justement pour cela que c’était intéressant. Entre le sérieux et l’imaginaire, ils pouvaient dire ce qu’ils voulaient, utiliser les ressources nécessaires afin de gagner. Gagner quoi? Le jeu, simplement!

Le regard d’Akiya, qui avait été posé sur elle depuis un instant –depuis que les lumières était allumées, plus exactement- dériva soudainement sur l’une des tables de la pièce désordonnée. Ce ne fut qu’une question de temps avant qu’il ne puisse apercevoir un paquet de feuilles blanches ainsi que quelques crayons par-ci, par-là, abandonnés çà et là. Malgré ce qui pouvait avoir été pris pour un refus de sa part un peu plus tôt, le jeune homme posa sa main sur la table, y faisant lentement glisser ses doigts, incertain, jusqu’à ce que ceux-ci puissent enfin toucher ce qu’il cherchait. Un crayon de plomb en main, il rapprocha sa feuille de lui, se pencha légèrement sur cette dernière, sans toutefois s’asseoir, ayant déjà abandonné l’idée de tenter de saisir une chaise en tâtant au hasard dans le vide, puis il laissa enfin son crayon caresser doucement le papier blanc.

Il n’était pas bien difficile de deviner que le dessin était une matière dans laquelle il avait un certain talent. L’art en général l’attirait et il semblait que celui-ci lui soit approprié. Ses gestes, précis et teintés d’une certaine élégance involontaire, semblaient si aisés qu’on aurait pu penser que la tâche qu’était de mettre sur papier son imagination était facile. Pourtant, une certaine concentration marquait ses traits par de légers plis sur son front.

« Si tu avais eu le choix entre être aveugle ou être sourde, qu’aurais-tu choisi? »

Quand Akiya dessinait, il pensait, tout haut ou tout bas. À qui posait-il la question, c’était une bonne interrogation; on aurait facilement pu croire qu’il se parlait à lui-même, qu’il avait oublié la présence de la jeune femme dans la pièce. Ce n’était pas le cas.

« La plupart des gens répondent qu’ils préfèrent être sourds. Les apparences leurs sont trop importantes. Et je comprend, ça. Pourtant, j’ai toujours répondu qu’être aveugle me dérangerait moins. »

Des paroles qui auraient pu être d’un grand sérieux sans que cela ne soit farfelu. Pourtant, ses traits gardaient quelque chose d’amusé. Il souriait, et cela de façon un peu moqueuse. Moqueuse envers qui? Peut-être envers lui-même. Ou alors envers elle, qui ne devait pas être capable d’atteindre une compréhension envers le but de ses paroles. Elle les trouverait sans doute naïvement inutiles et déplacées. C’était ironique.

« On peut alors se demander en quoi ceux qui réponde que l’ouïe est plus importante que la vue sont différents. »

Le dessin du garçon avançait assez rapidement. À mesure qu’il lâchait quelques paroles çà et là, les traits fin que son crayon dessinait évoluaient, montrant bientôt des formes qui se clarifiaient lentement, mais sûrement. La finesse du dessin était à noter; il semblait que les traits gras étaient presque complètement absents. Akiya affectionnait visiblement l’élégance d’une beauté légère et subtile.

« J’ai terminé. »

Le garçon posa son crayon sur la table, puis se redressa. On aurait pu croire qu’il se serait rendu jusqu’à elle pour lui montrer sa création faites rapidement en une dizaine ou une quinzaine de minutes, mais il ne bougea point. Il la regarda du coin de l’œil, attendant qu’elle se déplace jusqu’à lui si elle voulait bien voir ce qu’il avait crayonné.

Même si le dessin avait été fait rapidement, celui-ci gardait une certaine précision et n’avait rien d’un dessin qui faisait mal propre et brouillon. Il était clair et fait avec grâce. Pas parfait, quand même! Mais l’idée général qu’il avait eu était bien illustrée.
La jeune femme voulait des vêtements pour porter tous les jours; ce n’était pas pour une soirée spéciale. Akiya avait donc décidé de ne pas faire une tenue trop voyante et tape à l’œil. De toute façon, même avec de simples vêtement, la jeune femme l’était déjà. Donc, dis-je bien, quelque chose d’un peu plus modeste que le serait une tenue de soirée. La première chose que le garçon se disait en voyant le demoiselle était sans doute le mot « élégance ». Il avait donc décidé d’y aller dans cette catégorie là, tout en gardant une certaine originalité qui restait classe et distincte.
L’ensemble comportait trois pièces, dont le haut comprenait une chemise originale, sans manche, par dessus laquelle il avait rajouté une veste facultative dont les manches, qui laissaient voir les épaules de la personne qui la porterait, laissait voir par d’élégants filets une mince partie des bras du mannequin. Le bas, quant à lui, était une jupe, plutôt longue et d’une grande finesse quelque peu trahie par une ceinture de perles métalliques qui descendait le long du côté droit du vêtement. Du côté gauche, la longue jupe laissait subtilement voir une partie de la jambe du mannequin, dévoilant un côté moins sage chez la personne qui la porterait.

L’ensemble était assez simple. Toutefois, certains détailles, voyants ou non, lui rendait une originalité unique et une classe qui valait la peine d’être vue. Tout cela par quelques simples et élégants traits de crayon. Puis, un silence.

Bien sûr, que de donner du travail à plusieurs autres personnes était la meilleure des choses à faire. Nailah l’avait compris depuis longtemps. Puis, rappelons tout de même qu’elle avait une entreprise à charge, par conséquent, les tactiques commerciales et autres fourberies lui connaissaient quelque peu. Elle en avait suffisamment discuté avec son intendant pour cela. Répartir les tâches. Dans le marketing, ont faisait toujours appel à plusieurs personnes, pour ensuite sélectionner les meilleures idées. C’était un peu le même principe, ici. Elle sélectionnait les personnes les plus aptes à l’aider. Preuve que, parfois, le dicton qui disait qu’on était toujours mieux servi par soi-même ne s’appliquait pas en toute circonstance. Comme la plupart des dictons, me direz-vous.

Les trois mots prononcés par son vis-à-vis, son sourire tendrement espiègle et la moquerie omniprésente faillirent faire sourciller Nailah. Faillit. Il ne fallait pas non plus exagérer la chose. La maitrise des émotions et des mimiques restaient tout de même les points infaillibles de son jeu, les deux forteresses -presque- imprenables de son échiquier. Alors, plutôt que tiquer ou lancer une quelconque parole acerbe, elle se contenta de lancer un sourire doucereux. Cracher son venin réussissait à Nailah, cependant, il ne s’agissait pas là de la meilleure stratégie, loin de là. Mais les sourires doucereux, eux, emprunt à la fois de moquerie et du message « la vengeance est un plat qui se mange froid », à la fois complices et ennemis, elle les adorait. Au fond, elle était satisfaite. Parce que, le fait qu’elle en vienne à ce sourire signifiait simplement pour elle qu’il s’était pris au jeu. Et le jeu, il n’y avait que ça de vrai dans la vie de Nailah.

Nailah se tut, tout simplement, l’observant d’un œil intrigué, le regard d’un chat, sauf qu’il était d’un noir profond, et non coloré. Il n’en était pas moins étincelant et vif, plein de messages, de promesses et de malice. Les mains du styliste trouvèrent du papier, un crayon, et déjà, l’amusement se lisait sans les prunelles onyx de la belle. Fascinée, elle contempla les premiers traits, fins, légers. Alors, il relevait le défi ? Celui de la satisfaire, de tenter quelque chose ? Une telle décision la laissait à la fois perplexe et dans l’expectative. Elle n’en dit rien, cependant. Cela briserait la complicité du jeu, en quelque sorte. Les règles étaient faites pour être un minimum respectées.

Elle détacha ses iris du dessin, préférant ne voir que le résultat final et se détourna avec élégance, pour traverser la pièce et atteindre la fenêtre. Elle observa l’extérieur avec intérêt, scrutant l’obscurité, si envoûtante avec ses mystères. Nailah aimait cela, les formes ténébreuses, les silhouettes qu’on devinait, le paysage transformé par l’absence de luminosité. Ce balader dans la nuit était quelque chose d’à la fois exaltant et un peu effrayant. Bien sûr, que la jeune femme aimait ce genre de sensation. Elle faisait partie des personnes qui profitaient de la vie à fond, vivant tout dans l’excès.

Etrange coïncidence, le discours d’Akiya. Aveugle ou sourde ? Se priver de sens, un instant, pourquoi pas ? Mais de manière définitive, par un mauvais tour de la vie… Elle le vivrait certainement mal. Elle le laissa terminer sur le sujet, avant de se décider à en discuter :

- C’est seulement leur perception de choses qui change, je suppose.

Elle posa son front contre la vitre froide, se délectant du contact soudain, avant de poursuivre :

-J’aurais aussi répondu que je préférerai être sourde. La vue, dans le monde du mannequinat, de la mode, ou de la photographie, c’est tout. On ne peut pas se contenter d’entendre les choses.

Elle se surprit par sa sincérité, ce qui la laissa silencieuse quelques instants. La question avait mine de rien touché Miss Narcisse, si bien qu’elle poussa un soupir avant de faire volte face, dos à la vitre et posa son regard noir et froid sur le styliste, pour continuer sur son idée :

-Cependant, être aveugle a de bons côtés, je pense. Il y a des choses qu’il ne vaut mieux pas voir.

Ni entendre, certes. Mais entendre était un moyen de socialisation. Plus que de voir. Ne plus voir, d’une certaine façon, signifiait être seule. Or, la solitude était la phobie de Nailah, sa pire crainte, son cauchemar qu’elle gardait enfoui au fond d’elle. Ca, elle ne le dirait pas, elle faisait tout pour ne pas le montrer. Cela restait juste une vérité blessante, une faiblesse glaciale et à la fois une promesse, un concept qui révulsait Nailah au point qu’elle en avait la nausée.

Elle inspira un grand coup, une bouffée d’air dans son océan de sensation.

-Tant qu’à faire, je ne choisirai rien, lâcha-t-elle d’un ton des plus neutres, cachant ainsi son malaise. La vie est toujours plus intense lorsque l’on dispose de ses cinq sens.

Intense. C’était le mot. Un maître mot, même.

« J’ai terminé. »

Elle retraversa la pièce, notant que Monsieur n’avait pas daigné se déplacer. Très bien. Elle n’oublierait pas. Il était très rare que Nailah oublie quoi que ce soit. Elle saisit la feuille et s’empêcha d’esquisser un sourire ravi. C’était plus que satisfaisant, à ses yeux. Elle aimait, tout simplement la simplicité, l’élégance le tout mêlé à une certaine originalité. Ni trop stricte, ni trop léger. Rien de mignon, ni de fatal. Juste des courbes en finesses, un mélange qui lui convenait parfaitement. Pour la forme, cependant, elle haussa un sourcil avant de s’enquérir :

-Cintrée, la chemise ?

Oui, les chemises cintrées, elle préférait. Quand on avait une taille comme la sienne, on n’avait pas peur de le montrer, n’est ce pas ? Elle posa ses prunelles d’un noir profond sur le styliste, se demandant vaguement si la réalisation serait à la hauteur de ce croquis. Elle l’espérait, en toute honnêteté.

Enfin, elle n'eut guère l'occasion d'espérer plus longtemps puisqu'elle remarqua -enfin- la différence entre les deux prunelles de son vis-à-vis. Pour le coup, elle fronça les sourcils un bref instant, faisait peu à peu le lien avec leur conversation et cet étrange regard. Nailah ne fit aucune remarque et se contenta de se demander si la vue d'Akiya était diminuée ou non. Poser la question? Et puis quoi encore? On aurait pu croire qu'elle faisait preuve de compassion. Pourtant, c'était ce qu'elle aurait éprouvé, si elle en avait été certaine et si elle aurait voulu se l'admettre. Une puérile compassion. Une détestable compassion. Celle que l'on confondait avec la pitié. Celle qu'elle avait horreur qu'on éprouve pour elle, lorsqu'on apprenait son passé.

Et c'était dans ce genre d'instants que Nailah se haïssait elle-même, bien au delà de sa conception égoïste des choses.

Alors que le crayon du jeune homme frôlait délicatement la feuille sur laquelle des vêtements commençaient à apparaître, il fut surpris d’entendre la jeune femme répondre aux quelques paroles qu’il avait prononcées un peu plus tôt, cela sur un ton vague et peu précis. Akiya n’avait pas relevé la tête, mais il savait qu’elle s’était déplacée plus loin dans la pièce, sans doute vers l’une de ses fenêtre derrière laquelle s’étendait la sombre nuit. Il serait faux de dire que le garçon ne fut pas étonné par les réponses qu’elle décida de lui donner, des réponse qui, étonnamment, était satisfaisantes à ses oreilles, quoiqu’un peu étranges venant d’elle; il ne se serait pas attendu à l’entendre dire de telles suites de mots, à vrai dire. Pourquoi en fut-il étonné? Peut-être parce que ces mots qu’elle prononça avaient l’air honnêtes, justement. Et alors, il n’avait pas pris en compte le fait qu’il soit possible qu’une parcelle d’honnêteté, de réalité ne réside en elle. Préjugé? Peut-être. « Oh, bien sûr. Être aveugle peut être très pratique. C’est pourquoi énormément de gens le sont. Sans réellement l’être. » Courtes pensées qu’il eut au même moment où il sentit le regard froid de la jeune femme le toisé de façon peu sympathique. Ses mots l’avaient-ils énervée? Si oui, la question devenait alors un Pourquoi. En quoi la question l’avait-elle provoquée? Il aurait bien aimé le lui demandé, mais… il perdrait sans doute un point, alors. Le jeu était la partie la plus importante de la conversation, quand même.

« Je te crois. »

Oh, oui, il la croyait. La vie était sûrement plus intense lorsque l’on avait tous nos sens. Nos sens en entier, et pas qu’à moitié. Mais cela, il ne pouvait pas le confirmer. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était de la croire. Et il la croyait. Mais qu’importe! Il avait beau en avoir moins reçu que la normale à la naissance, ce n’était pas bien grave. Il vivait bien, non? Il avait toujours bien vécu… À part peut-être ce jour-là. Mais pourquoi se retourner vers le passé? Cela n’apportait rien, non? Ce n’était pas en se fixant sur le passé que l’on pouvait atteindre l’avenir, c’était clair.

Un vague sourire teintait ses lèvres, comme à la normale. Un sourire vague, qui en disait peu, n’en dévoilait qu’une expression narquoise à son visage. Il la laissa se rapprocher de lui pour qu’elle puisse enfin voir sa création, puis l’observa, à la recherche d’un signe, d’une étincelle, d’un quelconque indice pouvant l’informer sur le degré de satisfaction de la jeune femme. Oh, mais il fallait s’en douter, il n’y vit rien : le néant. Celle-ci regarda son dessin, qu’elle avait prit entre ses doigts effilée, puis elle l’avait regardé en silence, stoïque. La seule première réaction qu’elle eut l’avait presque inquiété. Un haussement de sourcil, ce n’était pas toujours bon. Pourtant, il avait été certain de ne pas avoir commis d’erreur en traçant son croquis. Tout y était, non? Il se savait talentueux et ne voyait pas ce qui pouvait la déranger. C’est alors qu’elle parla. « Cintrée, la chemise? ». Ah, c’était seulement ça?

« Évidemment. Cette tenue est faite pour une personne à la taille fine. »

Certes, il lui semblait que c’était une évidence, cela pouvait se voir dans son regard qui avait gagné une nouvelle expression de moquerie. C’est alors que son regard vint croiser celui de la jeune femme. Oh, ce n’était pas la première fois que leur regard se croisait. D’aussi près, oui, mais tout de même ce n’était pas la première fois. Pourtant, Akiya devait admettre –bien qu’il ne le ferait pas- que ce contact le dérangea quelque peu. Pas parce que le regard de la jeune femme était froid, ni parce qu’il était profond et déchiffreur. Seulement parce qu’il savait qu’elle l’avait remarqué. Ce n’était pas son regard, qu’elle regardait, mais bien ses yeux : son œil. Son complexe, oui. Akiya haïssait toujours ce moment où les autres le remarquaient. Ce n’était jamais bien long habituellement. Mais cela arrivait toujours. Et à chaque fois, cela l’énervait, peut-être parce qu’il prenait ce léger froncement de sourcil comme une remarque négative et silencieuse. C’était fatiguant.

Pour réponse à ce regard un peu trop analyseur à son goût, le garçon vint cligner des yeux quelques fois, un peu comme s’il répliquait, en silence : « Quoi, il y a quelque chose qui va pas ? » Malgré tout, il garda tout de même cet éternel sourire. Sa défense, en quelque sorte. Une désinvolture qui lui était caractéristique, même lorsqu’il ne se sentait pas d’humeur insouciante.

« Pour les couleurs, j’ai pensé à quelque chose de foncé. Dans les teintes de noir, ou alors bleu marin, mais alors très foncé. Je préfère le noir. »

Le garçon se rapprocha légèrement d’elle, tenant la table du bout de ses doigts pour s’assurer de ne pas la bousculer en s’approchant de trop près. Une fois non loin d’elle ainsi que du dessin qu’elle avait en main, une distance qui restait tout de même respectable, celui-ci enchaîna dans ses paroles descriptives, tout en maintenant du bout de son crayon, sur le dessin, ce qu’il désignait par ses mots.

« En ce qui concerne la veste : dans les mêmes teintes. Mais ici, sur les côtés, je favoriserais un peu de couleurs. Bordeaux ou alors bourgogne. Ici, quelques motifs… soit doré, soit argent, cela dépend si les bijoux qui iront avec l’ensemble seront en argent ou en or. »

Le garçon marqua une courte pause durant laquelle il réfléchit un instant, puis abaissa son crayon vers la jupe dessinée sur la feuille que la jeune femme tenait entre ses doigts.

« La jupe doit rappeler les couleurs de la veste. Principalement noire, alors, et ici, bordeaux. Les perles métalliques seront or ou argentées. »

Une fois l’analyse des couleurs terminée, le jeune homme tourna son regard vers elle, sans tourner la tête. Ses yeux gardaient leur touche espiègle, mais étaient à présent un peu plus sage, comme quoi il prenait tout de même son travail au sérieux.

« Qu’en penses-tu? »

La jeune femme éprouvait un mélange d’excitation satisfaite et d’amusement enfantin. Elle ne pouvait que convenir du fait que la journée était satisfaisante. Et ô combien satisfaisante. Non seulement, elle avait trouvé quelqu’un pour tromper son ennui, mais en plus, on lui proposait une création. Une création démonstratrice d’un talent non négligeable et d’un sens de l’observation plutôt impressionnant selon elle. Elle préférait cela à ces incapables qui ployaient sous ses injonctions, qui ne voyaient en elle qu’une diablesse manipulatrice. Avouez que cette appellation le seyait pas mal, tout de même. Nailah restait convaincue que le styliste n’était pas quelqu’un que l’on pouvait manipuler à sa guise, loin de là. Une grande qualité, pour sûr.

Le potentiel handicap d’Akiya ? Oh, elle n’y pensait déjà plus. Nailah n’était pas de ceux qui s’horrifiaient ou restaient fascinés par de telles choses. Une fois la stupeur -quoi que sa réaction ne passait pas pour stupéfaite- passée, elle prenait garde à juste ignorer ce qui pouvait paraître dérangeant. La compassion s’effaçait alors peu à peu de son cœur. Compassion qu’elle ignorait déjà de toute manière. Reine de son palais de glace, Nailah se confortait dans une insensibilité factice, mais là tout de même. Son vis-à-vis pouvait être tranquille.

A peine eut-il commencé à énoncer ses idées pour les couleurs, la jeune femme esquissa un sourire. Le premier qui laissait entièrement voir sa satisfaction. Elle aimait les choses bien faites, les explications nettes, les idées qui se suivaient sans accroche. En la matière, le styliste était quelqu’un d’à la fois intéressant et captivant. Elle le laissa parler couleurs tout en contemplant le dessin, étudiant les moindres courbes, y associant différentes teintes, imaginant déjà le doux contact du tissu sur sa peau. Elle perçut ensuite sa question, et son regard en coin. Ne savait-il pas qu’il n’était guère prudent de s’approcher de la féline vipère ? Une idée qui fait sourire, je vous l’accorde volontiers. De toute façon, Nailah ne jouait pas la séduction, sinon, elle aurait déjà pris une pause plus langoureuse sur le bureau, ce serait faite plus câline et moins accessible. Et jamais elle n’aurait parlé avec autant de sincérité, comme un peu plus tôt, mais se serait entourée de plus de mystère, digne d’une nuit sans lune.

-De l’argent. Je porterai de l’argent.

Porter de l’or au sein du pensionnat ne l’enchantait guère. Elle n’aimait pas spécialement l’or en lui-même, trouvant qu’il ne la mettait pas assez en valeur. L’or jaune tout du moins. Pour l’or blanc, il s’agissait d’une toute autre histoire. Mais l’argent avait une manière assez simple de contrasté avec le noir de ses yeux. Un détail, certes. Cependant, tout détail en rapport avec sa personne, et plus particulièrement avec l’onyx de ses yeux, prenait de l’ampleur.

Elle poursuivit :

-Je préfère aussi le noir. Par contre, le bordeaux est trop terne. Prune ou cerise conviendrait mieux, selon moi.

Des couleurs un peu plus douces que le bordeaux, mais aussi avec un côté plus fruité, comme les noms qui les définissent. Cela convenait bien mieux à Nailah, ce genre de teintes. Plus, comme elles seraient un peu plus vives, cela attirerait légèrement le regard. Juste une touche intrigante, sans être pour autant dans l’exagération et le tape à l’œil.

-Autrement, je n’ai rien à redire, mais je pense que tu devais t’en douter.

Un compliment, venant de la jeune femme… Voilé, certes, masqué par un sourire espiègle, mais un compliment tout de même. Voilà qui serait à marquer d’une pierre blanche.

Elle reposa la feuille sur la table, l’air de rien, puis se déplaça jusqu’à la table d’en face sur laquelle elle s’assit. Elle appréciait la hauteur, en fait. Voilà qui allait bien avec son sentiment de supériorité, son narcissisme débordant et autres défauts dans le genre. Ce qu’elle attendait ? En temps normal, elle aurait quitté la pièce ayant obtenu ce qu’elle voulait. Mais Akiya aurait besoin de mesures, pour commencer. C’était toujours plus pratique pour faire des vêtements, n’est ce pas ? Indocile et féline qu’elle était, elle ne pouvait pas lui donner des mesures comme cela, d’un claquement de doigts. Elle voulait savoir comment lui allait réagir, face à cela. Ce serait bien trop facile si elle jouait les ingénues. Elle se contentait de dériver la conversation, pour l’instant.

-Quand penses-tu que cette tenue sera prête ?

Question fondamentale, traduisant quelque peu les exigences et le sans gêne de la jeune femme. Peut-être était-ce un trait de caractère dû tout simplement à sa richesse… Ou alors à son narcissisme démesuré, cela n’aurait rien de nouveau. Quoi qu’il serait tout à fait envisageable que ce soit là les deux principaux facteurs qui ont façonnés sa personnalité, en plus de son passé guère joyeux. Et après, on s’étonne que la jeune femme soit insupportable… Enfin, on dirait pour le moment que le styliste parvenait à la supporter. Pour l’instant tout du moins.

Elle était sage, pour l’instant, la Vipère.

Pardon, vous êtes sérieux? Un sourire? Satisfait en plus? Il fallait dire que de toute évidence, Akiya n’en attendait pas autant d’elle. Peut-être quelques commentaires négatifs, ou des regards peu enchanteurs… ça oui, d’accord, il les aurait acceptés volontiers venant d’elle, lui qui avait compris une infime partie du caractère de la jeune femme. Mais de la satisfaction suivie d’un compliment? Il n’avait même pas pensé qu’elle était capable d’en faire tant. Elle n’était peut-être pas aussi méchante et froide qu’elle le laissait paraître, cette vipère aux impénétrables yeux d’onyx. Était-ce uniquement une carapace protectrice qu’elle portait, au fond? Après tout, plusieurs personnes –nombreuses, même- en possédait une. Lui-même, peut-être! C’était tout à fait possible et même assez probable qu’elle en est une, en effet. Pourtant, il n’en était que très peu convaincu pour l’instant.

Akiya l’écouta sans réagir grandement, ne faisant qu’acquiescer de temps en temps. Celle-ci affirma qu’elle préférait porter de l’argent, un choix que le jeune homme ne pouvait qu’apprécier, préférant lui aussi davantage la classe et la subtilité de l’argent plutôt que l’or, imposant et voyant. Il n’y avait qu’à le regarder : ses propres bijoux, ceux qu’il portait au moment même –quelques anneaux à ses oreilles, des chaînes à son cou, de multiples bagues à ses long doigts fins, des bracelets couvrant une mince partie de ses tatouages-, étaient tous majoritairement composés d’argent ou encore d’or blanc. L’argent, alors? D’accord.
En ce qui concernait les couleurs, le jeune homme hésita un instant. Non pas qu’il n’appréciait pas les couleurs vives; si ç’avait été le cas, les mèches rouges parsemées dans ses cheveux d’encre n’auraient pas été présentes. Toutefois, il avait eu en tête l’idée d’une tenue plutôt sombre, voyante par sa touche ténébreuses qui, malgré tout, était accentuée à un point tout à fait raisonnable, sans être trop exagérée. Cerise ou prune? Bah. Au fond, ces couleurs étaient acceptables, et même bien choisies. Cela donnait simplement un autre genre à la tenue, qui gardait tout de même la même classe accompagnée de cette certaine originalité. Prune ou cerise, donc? D’accord.

La liste des choses à changer, à modifier ou carrément à supprimer aurait très bien pu être plus longue, plus précise, peut-être. Mais apparemment, les vêtements qu’il avait créé étaient à son goût, c’était ce que le subtil compliment qu’elle lui offrit annonçait. C’était plutôt encourageant de savoir que ses créations pouvaient plaire aux autres. Parce que oui, lui, ses créations lui plaisaient bien. Cependant, il avait plutôt l’habitude d’en faire pour lui-même exclusivement. Les autres? Rares étaient les fois où il offrait ses services au premier venu.

Le jeune homme se rapprocha prudemment de la table, là où la jeune femme avait posé la feuille où son croquis était tracé. D’un rapide coup de crayon, le garçon traça quelques mots autour du dessin, quelques annotations au sujet des perles métalliques et des couleurs. Son écriture pouvait facilement être qualifiée d’illisible. Il fallait, certes, se concentrer pour pouvoir déchiffrer ces symboles que ces doigts venaient de marquer. Malgré tout, son coup de crayon gardait toujours cette même élégance artistique à la fois simple et originale. Un peu comme la création qu’il venait de faire, finalement.

Lorsque Akiya se retourna vers elle, son dessin en main, celle-ci était déjà assise sur la table en face, le regardant en lui demandant pour quand la tenue serait prête. Quand le serait-elle? Oh, il pouvait lui donner un grand nombre de réponses. Pour Akiya, faire une création pouvait être très rapide, tout comme cela pouvait prendre une éternité, dépendant de sa motivation et de son inspiration. Pour ce qui était de l’inspiration, rien à craindre : son plan était déjà fait et il savait comment il s’y prendrait pour créer une telle tenue. Par contre, pour ce qui était de la motivation, il ne pouvait rien prévoire d’avance.

« Je met parfois des mois à terminer mes vêtements. Toutefois, lorsque je m’y met sérieusement, je peux travailler très vite. Compte tenu des matériaux dont j’aurais de besoin et que je devrais trouver pour faire cette tenue, si je suis motivé, je dirais… Au plus rapide, trois jours. »

Trois jours… cela pouvait paraître court. Mais sachant que le jeune homme pouvait passer la quasi totalité de ses journée -et de ses nuits- à travailler sur un vêtement, cela prenait sans doute plus de sens, lui qui avait parfois tendance à s’acharner sur la création d’une tenue, même si rien ne pressait. Il pouvait être rapide, lorsqu’il le voulait, le styliste. Le serait-il?

Oh, mais n’avait-elle pas oublié quelque chose, la douce et gentille jeune femme? Un détail subtil, presque insignifiant… Un détail qui restait tout de même très important. Et pas si insignifiant que cela. Un détail… oui… C’est en haussant légèrement les sourcils qu’il reprit la parole, avec cet air angélique qui pouvait donner des envies de meurtres à ceux qui étaient victimes de son ironie.

« Ah, mais… Je n’ai jamais dit que je te ferais cette tenue. »

Le garçon osa la regarder dans les yeux avec un air dans lequel on pouvait apercevoir un soupçon de mesquinerie. Blaguait-il? On aurait pu le croire. Pourtant, il semblait que ses yeux, aussi sournois qu’ils pouvaient l’être, restaient majoritairement sérieux. Il n’avait pas l’air de plaisanter, un observateur averti le remarquerait.

Mais alors, avait-il fait tout cela uniquement pour l’embêter, ou avait-il autre chose derrière la tête?

Un long frisson parcourut l’échine de Nailah. Une colère sourde rampait en elle, vicieuse, insistante, mauvaise. En l’espace d’un instant, ses traits reprirent leur caractère hautain dans toute leur dimension, ses yeux s’assombrirent, non plus animés par une curiosité, un jeu ou une satisfaction mais bel et bien par un mécontentement non dissimulé. Oui, elle était furieuse. Et vous vous doutez bien que la fureur de Nailah n’était pas un fugace sentiment et pouvait facilement se mouvoir en haine, appeler à la vengeance, et autres complications de ce genre. Rien de bien réjouissant, somme toute.

La bonne nouvelle –si l’on pouvait considérer cela comme une bonne nouvelle, bien entendu- c’était qu’elle sa colère n’était pas totalement dirigée vers Akiya, mais avant tout vers elle-même. Elle s’était fait avoir, comme une débutante –si j’ose dire- et c’était en cela qu’elle se trouvait furieuse. Il n’était pas dans ses habitudes que de se faire avoir à son propre jeu. D’ordinaire, elle menait la danse et son interlocuteur avait quelque chose à lui demander. Là, les rôles s’inversaient et elle n’avait rien vu venir, bien trop attirée dans le jeu pour cela, bien trop fascinée par le talent du styliste aussi.

Quoi qu’il en soit, son silence était des plus éloquents. Elle aurait pu simplement lever les yeux au ciel, si elle ne s’était pas trouvée muette de stupéfaction devant sa propre sottise. Enfin, la mimique précédemment citée ne lui paraissait pas être la meilleure des attitudes à aborder à présent. Elle préférait laisser le silence s’alourdir, jusqu’à ce que sa soudaine mauvaise humeur en devienne étouffante pour n’importe qui. A commencer par elle.

Car enfin, si Nailah restait de glace, montrant ainsi sa supériorité, menant une politique drastique sur ses apparences afin de ne rien laisser paraître, il en allait tout autrement en elle. Elle bouillait, traversée par une prompte envie de meurtre, de briser quelque chose, de laisser libre court à sa rage et de casser tout ce qui lui passait sous la main. Ce qui serait vraiment mauvais pour son image, nous sommes d’accord. Oh, il y avait bien un geste, un détail qui la trahirait... Pas de poings serrés, en tout cas. Elle aurait été capable d’enfoncer profondément ses ongles dans sa chair alors qu’elle n’appréciait ni la douleur, ni le sang. Froncement de sourcils, peut-être ? Quoi que cela pouvait passer pour une intense réflexion, sans plus… En fait, il ne s’agissait pas d’un mouvement, mais d’une absence de mouvement, dans le désir de se contenir. Si d’ordinaire il lui arrivait de paraître immobile, ce n’était que trompeur puisqu’il y avait toujours de légers mouvements qui faisaient ondoyer sa chevelure, teinter ses boucles d’oreille ou encore, lui donnait cet air félin et désirable, sans que l’on comprenne vraiment pourquoi. Alors que là… Là, elle s’était transformée en une statue de marbre, froide et colérique, comme pour témoignée du courroux d’un dieu antique.

Allons, allons, ma chère Nailah. Il faut que tu te remettes, si tu ne réagis pas du tout, ce sera comme si tu avais perdu…

Toujours emprunte de sa sensualité, elle se laissa glisser jusqu’à ce que ses pieds touchent le sol tout en répliquant, d’un ton trop suave pour que cela ne cache pas quelque chose :

-Autant pour moi, très cher. Me voilà qui me laisse emporter. Bien sûr que non, tu n’as rien dit.

Inutile de préciser que toute la durée du silence, son regard devenu terrifiant n’avait pas lâché celui de son vis-à-vis. Le trop de sérieux qu’elle y lisait ne lui plaisait pas le moins du monde, c’était évident. On ne se jouait pas de Nailah Ibaru sans en subir les conséquences tôt ou tard, et je peux vous garantir que les méninges de la belle travaillaient déjà à sa future vengeance. Vous savez ? Le plat qui se mange froid…

Elle arqua un sourcil, replaça une mèche d’ébène derrière son oreille à l’aide de ses doigts d’ordinaire enjôleurs, puis s’avança jusqu’à Akiya. Elle restait féline dans ses mouvements, mais non plus par sa grâce, ou tout du moins pas uniquement, mais aussi par l’assurance qu’elle dégageait, face à une proie qui serait impuissante. Oh, bien entendu, le styliste n’avait rien d’impuissant, puisque lui-même avait mis la mannequin en colère. Mais elle se jurait intérieurement qu’il le serait un jour, misérable marionnette entre ses mains…

Bon, c’était bien beau, de vouloir se venger, Nailah, mais songe tout de même à te tirer de cette situation délicate en virtuose vainqueur si tu ne veux pas que ton égo en souffre toute ta vie.

Parce que, bien sûr, elle se sentait meurtrie dans son habituelle supériorité et ne cessait de vouloir être au dessus de tout. Son égo surdimensionné avait bel et bien été piqué, plus que piqué même. Affront qu’elle ne laisserait pas impuni. Oh, et puis, elle ne pouvait pas se rabaisser à demander gentiment à Akiya ce qu’il en était de sa réponse. Même si ce n’en était pas forcément un, elle prenait sa réponse comme un non, un refus catégorique quand à rendre service à la jeune femme. Sa fierté en découlait, cela allait de soi.

Arrivant au niveau de son interlocuteur, le toisant du haut de ses traits altiers, elle poursuivit, d’un ton un peu plus sifflant, se rapprochant alors de sa nature de vipère prête à cracher son doux venin :

-Le fait que tu n’y avais rien à gagner m’avait quelque peu… échappé.

Ahah. Evidemment. Cela la confortait dans l’idée que la nature humaine ce qu’elle était et qu’elle-même ne représentait pas tous les vices de la terre. Si la raison du refus d’Akiya lui paraissait égoïste elle la comprenait dans le sens ou la belle Nailah ne donnait jamais rien sans rien. Finalement, peut-être était-il comme la Vipère ? Ou bien, ses motivations étaient-elles si sombres que Nailah ne pourrait pas les déviner ? Allez savoir… Ce n’était pas sa préoccupation pour le moment en tout cas.

Elle s’approcha en encore, dépassant finalement Akiya dans un bruissement de tissus. Dos à lui, elle pivota alors légèrement la tête pour que son souffle caresse le cou de ce dernier tandis qu’elle persifflait dans un murmure :

-Nailah Ibaru. C’est mon nom. Si tu me cherches, tu devrais aisément me trouver.

Et oui, la voilà qu’elle délivrait son identité, comme une promesse d’une nouvelle rencontre. Celle du styliste ? Elle s’en fichait, pour le moment tout du moins. Un sourire mauvais se dessina sur les lèves de la jeune femme qui, sans un regard en arrière, trop imbue pour cela. Une fois la porte ouverte, elle ne prit pas vraiment la peine de ralentir, puisqu’elle doutait fortement qu’Akiya soit du genre à la retenir. Enfin, elle ne courait pas non plus, il manquerait plus que l’on pense qu’elle fuyait. Nailah ne fuyait pas, elle s’esquivait habilement pour revenir à la charge par la suite, mesquine et mauvaise, ombre insaisissable et envoûtante.

Ainsi, Nailah quitta la pièce, de sa démarche impérieuse, ses talons portant encore les bruits de ses pas réguliers dont le rythme fier vrillait les tympans de toute personne se trouvant dans le couloir. Elle ne laissait derrière qu’une fugace senteur douce et épicée, son parfum qui s’estomperait bientôt.

Allons, voilà maintenant qu’il se retrouvait devant une immobile statue de marbre. La jeune femme s’était immobilisé, ses yeux devenus aussi tranchants que la lame d’un sabre le pointant dangereusement. Un silence aiguisé était venu s’installé entre eux, ne rajoutant qu’une touche encore plus lourde à cette atmosphère empoisonnée. Mais était-ce par le venin de la jeune femme que cette ambiance était marquée, ou alors par celui du styliste qui, au premier regard, semblait pourtant si inoffensif? Un mélange plus ou moins homogène des deux, sans doute. Rien de bien tentant à visiter, entendons-nous!

Akiya la regardait le regarder, son sourire sournois et venimeux toujours pointé sur le coin de ses lèvres pâles. Le jeune homme avait la parfaite impression d’avoir enfin réussi à déjouer la défense de la jeune femme et à marquer un but bien mérité. L’avait-elle ressenti, elle aussi? Son corps ne l’exprimait guère, il était impossible de s’obstiner sur ce point. Mais quand n’était-il de ce regard qu’elle lui offrait, un doux et tranchant regard qui lui semblait si meurtrier? Oh, peut-être n’était-ce que le fruit de son imagination, lui qui avait une certaine fierté dissimulé. Quoi qu’il en soit, il ne croyait pas se tromper en pensant que la jeune femme avait prit par à la création de cette ambiance si terne et froide qui avait pris place dans la salle. N’était-ce pas amusant?

Le jeune homme la laissa parlé, sans que le temps ou ses paroles ne réussisse à modifier cette moue à la fois amusée et sérieuse qu’il avait sur le visage. Si elle n’avait rien dit de tel non plus, de son côté? Ah oui, c’était bien possible, mais était-il vraiment nécessaire de dire qu’il s’en moquait plus que tout, maintenant qu’il avait eu ce qu’il voulait, soi cette victoire de première période? Pour l’instant, c’était suffisant. Bien sûr, ce n’était sûrement pas la dernière fois qu’ils allaient ainsi jouer, si l’on pouvait toujours qualifier cette relation de jeu. Mais pour le moment, Akiya s’en moquait pas mal, son insouciance naturelle revenant peu à peu à lui.

Ah, quel joli regard froid qu’elle voulait bien lui offrir… Oh, il serait mentire de dire que ce contact visuel fut particulièrement agréable. Une certaine haine se faisait certainement ressentir par son regard, Akiya en était conscient. Mais quelque chose de si doux et mielleux y était… Une émotion qu’était la malveillance, si divertissante… tellement moins douloureuse que les liens affectifs, ceux que certain appelait l’amitié et plus encore… Voilà pourquoi le garçon évitait de s’attacher aux autres. Les ennemis étaient, à ses yeux, beaucoup moins dangereux que les alliés. Fallait-il vraiment chercher loin pour tenter de comprendre sa psychologie? Peut-être qu’en le connaissant davantage, ce n’était pas nécessaire. Mais qui le connaissait bien, de nos jours?

Le jeune homme avait ressenti ce souffle chaud qui vint caressé son cou alors qu’elle lui dévoila finalement son nom. Ce dernier vint frôler ses oreilles de façon à la fois si douce et si frappante. Nailah… un prénom qui lui semblait si agréable à l’oreille, aucune syllabe ne voulant bien briser cette harmonie. Ibaru… voilà qui était un peu plus pesant au son, mais pas assez pour le provoquer. Un nom qui lui allait bien, quoi. Elle le portait à merveille, oui.

« Je tenterai de ne pas l’oublier. »

Parce qu’ils allaient se revoir, n’est-ce pas? Il était quand même clair qu’elle n’avait pas dit son dernier mot, la jolie vipère. Le jeu était lancé, mais n’atteindrait sûrement pas sa fin avant un bon moment. Pas lorsque ses joueurs refusaient tous les deux de perdre. N’était-ce pas délassant?

Nailah n’était plus dans la pièce. Akiya ne s’était pas retourné pour lui lancé un regard, mais il le savait; il lui semblait déjà que l’atmosphère dans la pièce était moins pesante. Celui-ci conserva toutefois une légère teinte mesquine à ses lèvres, quoique ses yeux ne riaient plus réellement. Enfin, celui-ci vint saisir l’écouteurs de son lecteur de musique, celui qui pendait vers le sol depuis le moment où il l’avait retiré de son oreille pour mieux capter la voix suave de la jeune femme. Maintenant qu’elle était parti, il lui semblait que tout était redevenu comme avant, comme s’il ne lui avait jamais adressé la parole. L’heure qu’il était? Tard, évidemment. Mais qu’importe.

Le jeune homme prit quelques minutes avant de pouvoir sortir de la pièce, celui-ci ayant prit le temps de faire attention pour ne pas s’heurter maladroitement à une table ou à un autre objet. Avant de mettre le pied dans le couloir, ses doigts fin, qui d’une main tenait son croquis, vinrent s’appuyer sur l’interrupteur afin de l’éteindre, les lumière s’éteignant du même coup.

Akiya marchait à nouveau dans le couloir sombre, les mains dans les poches, fredonnant cette chanson qui passait à nouveau sur son Ipod.

Forget me, for me, you can't save it...

» Akiya Yuzuriha